C’est arrivé d’un coup : un flot jusqu’ici contenu qu’elle essuie, tremblante, de ses mains ridées.
Madame Da Silva prépare nos entretiens en écrivant son histoire en portugais et elle me traduit à haute voix pendant que j’écris sur mon ordinateur.
Parfois, c’est marrant, elle repasse en portugais sans s’en rendre compte.
Sauf que je comprends pas un mot de portugais, moi, alors on éclate de rire et elle reprend avec un français « pas terrible », comme elle dit. Moi, je trouve qu’il est vraiment pas mal son français, et puis de toute façon on s’en fout, c’est mon boulot de corriger.
Elle me raconte son enfance et la vie rude à la ferme, les seaux qu’il fallait porter, les bêtes à s’occuper, la terre à travailler, et entre tout ça, l’école. « On n’était pas si malheureux, précise-t-elle, mais simplement, on faisait attention. »
« Faire attention », dans l’enfance de madame Da Silva, ça veut dire que le dimanche, pour aller à la messe, les gamins gardaient leur unique paire de chaussures à la main pendant les 2 km à pied qui les séparaient de l’église et ne les mettaient qu’au dernier moment, pour les abimer le moins possible.
Les autres jours, ils allaient pieds nus.
Madame Da Silva a fondu en larmes, disais-je.
Parce qu’après son enfance, elle raconte son mariage, les 3 enfants, le mari aimant mais qui travaille loin, alors elle s’occupe seule des gosses, de la maison et de la terre. Puis l’exil pour fuir la dictature : le bateau, la marche interminable le long de la voie ferrée, avec les mômes qui ont froid et qui ont faim, le train, la route, l’arrivée dans la nuit après 4 jours de voyage.
Ensuite, c’est le travail à la ferme, la maltraitance de ses employeurs qui ne la déclarent pas et frappent ses enfants, l’accident du mari et ses 15 jours dans le coma, le déménagement et les 2 autres enfants.
Mais pendant tout ce récit, madame Da Silva n’a pas pleuré. Pas une fois.
Non, quand madame Da Silva a fondu en larmes, c’est quand elle a raconté, alors qu’ils avaient trouvé un toit et une stabilité, alors qu’elle venait d’accoucher, le décès soudain de son mari. Et elle, seule avec ses 5 enfants dans un pays dont elle ne connait pas la langue.
Là, elle a fondu en larmes.
Tu m’étonnes.
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